Le 21 novembre 2021, en milieu de journée, Jean-Pierre Schumacher, moine cistercien, prêtre, s’est éteint dans le petit monastère Notre-Dame de l’Atlas, à Midelt (Maroc), à l’âge de 97 ans. Il était le dernier survivant des moines de Tibhirine. Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les ravisseurs ne l’avaient pas repéré, pas plus qu’ils n’avaient repéré le frère Amédée, décédé en 2008. Jean-Pierre s’est donc trouvé le dernier témoin de cette aventure humaine et spirituelle.
Sa mort nous laisse dans un chagrin réel mais sans tristesse, tant je tiens pour un vrai privilège et une grâce d’avoir rencontré ce moine lumineux, d’avoir été accueilli par lui avec amitié chaque fois que moi-même et mon fils Antoine nous avons pu passer une grande journée dans le petit monastère qui continue à faire vivre au pied du Haut-Atlas l’esprit de Tibhirine. Cet été encore, nous avons pu converser une belle heure avec lui. Il était serein, un peu affecté que ses infirmités ne lui permettent plus de présider l’eucharistie, mais heureux de pouvoir encore concélébrer. Et toujours prêt à témoigner devant les visiteurs qui l’interrogeaient sur Tibhirine et ses frères martyrs, et sur ce qu’avait été leur fraternité avec leur village algérien musulman. Il confirmait que le film de Xavier Beauvois « Des hommes et des dieux » traduisait fidèlement ce qu’ils avaient vécu et assumé, même si des détails anecdotiques pouvaient y avoir été représentés un peu différemment.
Chaque fois que de nouveaux pèlerins passaient par Midelt et le rencontraient, beaucoup ne pouvaient s’empêcher de lui demander comment il avait échappé à l’enlèvement. Il satisfaisait leur curiosité avec simplicité en retraçant le concours de circonstances par lequel il avait bien perçu l’intrusion, mais ne s’était pas rendu compte sur le moment que les intrus étaient repartis en emmenant ses frères, il avait cru qu’ils étaient, comme cela était déjà arrivé, venus demander les soins de Luc, le médecin, pour l’un des leurs. Il nous a dit qu’avoir été épargné lui avait tout un temps posé question : « Dieu a-t-il jugé que je n’étais pas prêt ? ». Lorsque nous l’avons connu, il se montrait désormais pleinement serein, et attentif seulement à bien témoigner et bien accueillir selon la vocation qui lui avait été réservée.
Comment pourrions-nous oublier son visage et son sourire ?