Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 juin 2023 2 27 /06 /juin /2023 13:45

          Lors de la publication de l’encyclique Sacerdotalis caelibatus, en 1967, je l’avais lue avec attention, et j’avais ressenti un certain malaise, parce qu’il me semblait que s’y faisaient concurrence deux approches de la question difficilement conciliables. Je viens de la relire, mon ressenti demeure le même et je vais m’en expliquer.

          Écoutons Paul VI : « Le Nouveau Testament, où nous est gardée la doctrine du Christ et des Apôtres, n’exige point le célibat des ministres sacrés, mais le propose comme libre obéissance à une vocation spéciale, à un charisme spécial (cf. Mt. 19, 11-12). Jésus lui-même n’en a pas fait une condition préalable au choix des Douze, ni non plus les Apôtres à l’égard des hommes qui étaient préposés aux premières communautés chrétiennes (cf. 1 Tim 3, 2-5 ; Tit 1, 5-6) » (n° 5). Et au n° 15 : « Assurément, le charisme de la vocation sacerdotale, ordonné au culte divin et au service religieux et pastoral du peuple de Dieu, reste distinct du charisme qui fait choisir le célibat comme état de vie consacré ; mais la vocation sacerdotale, encore qu’elle soit divine en son inspiration, ne devient pas définitive et efficace sans l’approbation et l’acceptation de ceux qui dans l’Eglise ont le pouvoir et la responsabilité du ministère pour la communauté ecclésiale. Il appartient ainsi à l’autorité de l’Eglise d’établir, selon les temps et les lieux, les qualités à requérir concrètement des candidats pour qu’ils soient jugés aptes au service religieux et pastoral de cette même Eglise. »

          Selon une telle approche, le célibat n’est pas requis de soi pour la prêtrise, la vocation au service de l’Église dans le presbytérat et le célibat pour Dieu sont deux charismes distincts, mais il revient à l’autorité qui s’exerce dans l’Église de décider, selon les temps et les lieux, quelles dispositions particulières de vie on demandera aux futurs prêtres, et en particulier si l’accès à la prêtrise sera réservé ou non à ceux des hommes en qui se manifeste aussi le charisme du célibat pour Dieu. La discipline de l’Église latine peut parfaitement se trouver ainsi justifiée, et celle des Églises orientales, qui ordonnent des hommes mariés sans leur demander de renoncer à la vie maritale, pourra l’être tout autant ; les Églises qui adoptent l’une ou l’autre discipline sont d’égale dignité, et Paul VI peut affirmer sincèrement son estime et son respect pour les Églises orientales (n°38).

          Lorsqu’à partir du n° 17 Paul VI entreprend d’expliquer les raisons du choix de l’Église d’Occident, je m’attendais donc qu’il énonce les circonstances particulières de temps et de lieu qui justifient ce choix. Or il n’en est rien. Il développe, en faveur du choix fait et maintenu par l’Église latine, des considérations christologiques, ecclésiologiques et eschatologiques de valeur générale. Christologie : le sacerdoce ministériel (à distinguer du sacerdoce commun des baptisés) associe le ministre de manière plus particulière au sacerdoce du Christ, et à son don total à sa mission, don total qui a impliqué sa virginité ; le prêtre est appelé à se configurer dans l’amour à l’état de vie du Christ (n°19 à 25). Ecclésiologie : le prêtre se configure au Christ dans son amour pour l’Église, ce qui appelle à une consécration exclusive, il renoncera à toute famille personnelle pour aimer tous les enfants de Dieu (n° 26 à 32). Eschatologie : le célibat anticipe la consommation du Royaume (n° 33 et 34). Remarquons au passage que cette signification eschatologique du célibat, cette anticipation signifiante de la condition définitive des élus dans le Royaume éternel, est plutôt mise habituellement en rapport avec la vocation monastique et religieuse, qui est autre chose que la prêtrise.                                                                               

          Ce qui me frappe dans cette argumentation, c’est que la manière dont elle est présentée est absolument générale, sans considération de temps et de lieu, donc valable en tout temps et en tout lieu. Ce n’est plus la même approche que dans les n° 5 et 15. Dans cette seconde approche, la discipline occidentale du célibat des prêtres n’est plus une discipline parmi d’autres toutes égales en dignité, elle devient la discipline normale, de référence, et les autres, si justifiées soient-elles en raison de conditions spécifiques, seront des exceptions, liées à des circonstances historiques particulières (n° 38), auxquelles la discipline latine n’a pas besoin de recourir pour se légitimer. Cela les fragilise, exige des justifications toujours exposées à l’objection, et donne des arguments à ceux (il s’en est trouvé dans tous les siècles) qui chercheraient à obtenir que les chrétiens orientaux se rallient aux pratiques latines.

Je ne doute pas de la sincérité de Paul VI quand il affirme son estime et son respect envers les Églises orientales. Mais le chemin qu’a pris son argumentation sape quelque peu les bases de cette bonne entente. Je n’en veux pour preuve que le titre qu’il a donné à l’encyclique. S’il s’en était tenu à la première approche, le titre pertinent aurait été Occidentalis partis Ecclesiae presbyterorum caelibatus. En optant pour Sacerdotalis caelibatus il a choisi de faire du célibat quelque chose d’inhérent au sacerdoce des prêtres, en contradiction me semble-t-il avec ce qu’il reconnaît au n° 5.

Une dernière remarque. On se demandera peut-être quelles sont, historiquement, les conditions précises de temps et de lieux qui ont déterminé à l’origine cette divergence de discipline entre l’Orient et l’Occident. Même si la discipline du célibat ne s’est imposée définitivement en Occident qu’avec la Réforme grégorienne au 11e siècle, c’est dès la fin du 4e siècle que plusieurs papes de Rome et aussi tel ou tel concile provincial, comme celui de Carthage en 390, ont réclamé assidument que les hommes mariés appelés à la prêtrise renoncent à tout usage du mariage, avec pour raison principale que pour manier les choses sacrées il faut être pur (détails dans www.dieumaintenant.com/auxoriginesducelibat.html). On était en effet convaincu alors que tout acte sexuel, si légitime soit-il au sein d’un mariage, comporte une part d’impureté au moins rituelle, d’incompatibilité avec le sacré. Et en Occident les prêtres avaient pris l’habitude de célébrer chaque jour, ce qui n’était pas le cas et n’est toujours pas le cas en Orient, où certains jours de la semaine peuvent être aliturgiques, ce qui laissait aux prêtres mariés un créneau pour honorer leur épouse. De telles considérations sur le pur et l’impur, quand il y a mariage légitime, n’ont plus cours aujourd’hui, et les raisons qu’on invoque sont devenues différentes, mais il en était ainsi alors.

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Michel Poirier
  • : Où il est question de grec ancien, de latin, de Pères de l'Église, de peinture (Guermaz, Colette Dubuc), de sculpture (Auliac, Manoli), d'œcuménisme ...et même de réactions à l'actualité
  • Contact

Recherche

Catégories Des Articles