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24 octobre 2023 2 24 /10 /octobre /2023 16:16

     

          Comme beaucoup d’autres, j’ai reçu par internet un texte important (https://amisdesabeelfrance.blogspot.com/), une « Lettre ouverte de chrétiens palestiniens aux responsables et théologiens des Églises d’Occident », qui nous appelle à la repentance pour l’attitude de deux poids deux mesures qui entache souvent nos prises de position concernant le conflit Israël-Palestine, plus attentives aux intérêts d’Israël et au sort des israéliens qu’aux souffrances et aux injustices que subissent les palestiniens. Ces reproches sont très largement justifiés, et je réponds volontiers à l’appel qui nous est fait de diffuser autour de nous cette lettre ouverte.

          Une réserve cependant. Il s’est glissé dans le texte (on a glissé ?) une phrase terriblement ambiguë. Voici cette phrase : ‘nous sommes également horrifiés par le refus de chrétiens d’Occident de condamner l’occupation de la Palestine par Israël qui perdure, et en certains cas par leur justification et leur soutien à cette occupation’. Il y a bien du vrai dans ce reproche, mais ce qui provoque l’ambiguïté, c’est que les contours de la Palestine dont on parle ne sont pas précisés. S’agit-il des territoires palestiniens (Jérusalem-est, la Cisjordanie, Gaza) envahis par l’armée israélienne en 1967, dont on a espéré en vain lors des accords d’Oslo qu’ils allaient devenir le lieu d’un État palestinien souverain, et qui sont demeurés depuis lors ou occupés ou exposés en permanence aux interventions de l’armée d’Israël ? Je souscris. S’agit-il au contraire de la Palestine au sens le plus large du mot, de l’ensemble du territoire entre Méditerranée et Jourdain, appelé depuis longtemps Palestine sous la domination ottomane puis le mandat britannique jusqu’en 1948 ? En ce cas, cela voudrait dire que le grief d’occupation concerne aussi le territoire de l’État d’Israël tel qu’il existe depuis 1948, tel qu’il est reconnu par la majorité des États du monde et par l’ONU, bref qu’on nous demande de condamner non seulement les empiètements d’Israël sur les territoires voisins, mais aussi et d’abord l’existence même d’Israël depuis 75 ans. Là je ne marche plus. Je n’appellerai pas à l’éradication de l’État d’Israël. Aujourd’hui les israéliens ne sont plus des gens venus d’ailleurs, ils sont très majoritairement nés sur place, ils sont devenus un peuple du Proche-Orient, et malgré tout le passé il faudra trouver un jour le moyen d’une coexistence pacifique et juste sur place.

          Que cette réserve ne nous empêche pas de lire avec attention et d’entendre en profondeur les appels de nos frères. En voici le texte intégral :

 

Un appel à la repentance : Lettre ouverte de chrétiens palestiniens aux responsables et théologiens des Églises d’Occident.

« Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, faites droit à l’opprimé » (Ésaïe 1,17).

Nous, membres des institutions et mouvements de base chrétiens palestiniens soussignés, pleurons et déplorons le nouveau cycle de violence qui sévit dans notre pays. Alors que nous étions sur le point de publier cette lettre ouverte, plusieurs d’entre nous ont perdu des amis et des membres de leur famille dans les atroces bombardements israéliens sur des civils innocents le 19 octobre 2023. Il y avait parmi eux des chrétiens qui avaient cherché refuge dans l’église historique grecque orthodoxe de Saint-Porphyre à Gaza. Les mots nous manquent pour exprimer notre choc et toute l’horreur de la guerre qui se poursuit dans notre pays. Nous déplorons profondément la mort et la souffrance de tant de personnes parce que notre profonde conviction est que tous les humains ont été créés à l’image de Dieu. Nous sommes aussi profondément troublés chaque fois que le nom de Dieu est invoqué pour promouvoir la violence et des idéologies nationales religieuses.

En outre, nous observons avec horreur la façon dont de nombreux chrétiens occidentaux offrent un soutien indéfectible à la guerre qu’Israël mène contre le peuple palestinien. Tout en reconnaissant les nombreuses voix qui ont parlé et qui continuent de parler pour la cause de la vérité et de la justice dans notre pays, nous vous écrivons pour mettre au défi les théologiens et dirigeants d’Églises qui ont exprimé un soutien irréfléchi à l’État d’Israël et pour les appeler à se repentir et à changer d’attitude. Nous sommes tristes de vous dire que les actions et les attitudes de deux poids deux mesures de certains dirigeants chrétiens ont gravement nui à leur témoignage chrétien et ont gravement déformé leur jugement moral à l’égard de la situation dans notre pays.

Nous nous joignons aux amis chrétiens pour condamner toute attaque contre des civils et tout particulièrement contre des familles et des enfants sans défense. Mais nous sommes aussi troublés par le silence de beaucoup de dirigeants d’Églises et de théologiens quand ceux qui sont tués sont des civils palestiniens. Nous sommes également horrifiés par le refus de chrétiens d’Occident de condamner l’occupation de la Palestine par Israël qui perdure, et en certains cas par leur justification et leur soutien à cette occupation. Et nous sommes consternés par la manière dont certains chrétiens ont légitimé la poursuite des attaques aveugles qu’Israël mène contre Gaza et qui ont jusqu’à présent coûté la vie à plus de 3 700 Palestiniens, en majorité des femmes et des enfants. Ces attaques ont causé la destruction de quartiers entiers et le déplacement forcé de plus d’un million de Palestiniens. L’armée israélienne a utilisé des tactiques qui ciblent particulièrement les civils, comme le recours au phosphore blanc ou le fait de couper l’eau, le fuel et l’électricité, ou de bombarder des écoles, des hôpitaux et des lieux de culte, comme par exemple l’odieux massacre à l’hôpital anglican-baptiste Al-Ahli et le bombardement de l’église grecque-orthodoxe Saint-Porphyre dans lequel des familles chrétiennes entières ont été tuées.

Par ailleurs nous rejetons catégoriquement les réponses myopes et déformées de chrétiens qui ignorent totalement le contexte plus vaste et les causes profondes de cette guerre : l’oppression systématique par Israël des Palestiniens durant les 75 dernières années, depuis la Nakba, la poursuite du nettoyage ethnique de la Palestine et l’occupation militaire oppressante et raciste qui correspond au crime d’apartheid. C’est justement cet horrible contexte d’oppression que beaucoup de théologiens et de responsables chrétiens d’Occident n’ont cessé d’ignorer et, pire encore, ont parfois légitimé en recourant à toute une panoplie de théologies et d’interprétations sionistes. Savent-ils que le blocus cruel qu’Israël a imposé à la bande de Gaza durant les 17 dernières années a transformé ses 365 km2 en une prison à ciel ouvert pour plus de deux millions de Palestiniens, dont 70% sont des familles qui y ont été déplacées durant la Nakba et auxquelles sont refusés leurs droits humains fondamentaux. Les conditions de vie brutales et désespérées qui règnent à Gaza sous le régime impitoyable d’Israël ont malheureusement encouragé les voix extrémistes de plusieurs groupes palestiniens qui voient dans le militantisme violent une réponse à l’oppression et au désespoir. Il est triste de constater que la résistance palestinienne non-violente pour laquelle nous nous engageons de tout notre cœur est ignorée sinon rejetée, alors qu’en même temps des dirigeants chrétiens occidentaux vont jusqu’à refuser de discuter de l’apartheid israélien tel qu’il a été signalé par Human Rights Watch, Amnesty International, et B’Tselem et confirmé à la fois par des Palestiniens et des Sud-Africains.

À maintes reprises, il nous a été rappelé que les attitudes occidentales à l'égard de l’ensemble Palestine-Israël souffrent d'un système flagrant de deux poids deux mesures qui humanise les Juifs israéliens tout en s’efforçant de déshumaniser les Palestiniens et d'occulter leurs souffrances. Cela a été évident dans l’attitude de beaucoup à propos de la récente attaque israélienne contre la bande de Gaza qui a tué des milliers de Palestiniens, ou dans l’indifférence avec laquelle a été reçu l’assassinat de la journaliste chrétienne palestino-américaine Shireen Abu Akleh en 2022 et la mort violente de plus de 300 Palestiniens dont 38 enfants en Cisjordanie cette année avant la dernière escalade de violences.

Il nous semble que ce deux poids deux mesures est le reflet d’un discours colonialiste bien ancré, qui s’est servi de la Bible pour justifier le nettoyage ethnique des peuples indigènes dans les Amériques, l’Océanie et d’autres régions du monde, l’esclavage des Africains et le commerce transatlantique des esclaves, et des décennies d’apartheid en Afrique du Sud. Les théologies colonialistes ne sont pas du passé; elles se poursuivent dans tout un spectre de théologies et d’interprétations sionistes qui ont légitimé le nettoyage ethnique de la Palestine et le dénigrement et la déshumanisation des Palestiniens, y compris ceux qui sont chrétiens et qui, tous, doivent vivre dans un système colonialiste d’apartheid et d’occupation. Nous sommes également conscients de l’héritage chrétien occidental de la théorie de la guerre juste dont on s’est servi pour justifier le lancement de bombes atomiques sur d’innocents civils au Japon durant la seconde guerre mondiale, la destruction de l’Irak et l’extermination de sa population chrétienne durant la dernière guerre que les Américains y ont menée, tout comme le soutien indéfectible et sans le moindre esprit critique d’Israël contre les Palestiniens au nom d’une suprématie morale et de l’« autodéfense ». Beaucoup de chrétiens occidentaux, dans un vaste spectre à la fois confessionnel et théologique, ont adopté des théologies et des interprétations sionistes qui justifient la guerre et qui les rendent complices de la violence et de l’oppression mises en œuvre par Israël. Certains sont aussi coresponsables de la montée d’un discours haineux anti-palestinien que nous voyons se développer aujourd’hui dans beaucoup de pays et de médias d’Occident.

Alors que beaucoup de chrétiens occidentaux n’ont pas de problème avec une légitimation théologique de la guerre, la grande majorité des chrétiens palestiniens n’approuve pas le recours à la violence, même pas quand ils sont occupés et qu’ils n’ont aucun pouvoir. Ils sont tout au contraire entièrement engagés dans la résistance non-violente et créative qui a été celle de Jésus (Kairos Palestine, §4.2.3), qui suit « la logique de l’amour et [investit toutes ses] énergies pour faire la paix » (§4.2.5). Nous rejetons fondamentalement toutes les théologies et toutes les interprétations qui légitiment les guerres menées par les puissants. Nous exhortons fortement les chrétiens occidentaux à nous accompagner dans cette voie. Nous nous rappelons aussi, à nous-mêmes ainsi qu’à nos frères chrétiens, que Dieu est le Dieu des brimés et des opprimés, et que Jésus a réprimandé les puissants et élevé ceux qui vivaient aux marges de la société. Ceci est au cœur de la justice telle que Dieu la voit. C’est pourquoi nous sommes profondément troublés par l’incapacité de certains théologiens et dirigeants chrétiens occidentaux de reconnaître la tradition biblique de justice et de miséricorde telle qu’elle a été proclamée en premier par Moïse (Dt 10,18 ; 16,18–20 ; 32,4) et les prophètes (Es 1,17 ; 61,8 ; Mi 2,1–3 ; 6:8 ; Am 5,10–24), et illustrée et incarnée en Christ (Mt 25,34–46 ; Lc 1,51–53 ; 4,16–21).

Finalement, et nous le disons le cœur brisé, nous tenons les dirigeants d’Églises et les théologiens occidentaux qui se rallient derrière les guerres d’Israël responsables de leur complicité théologique et politique avec les crimes qu’Israël a commis à l’encontre des Palestiniens au cours des 75 dernières années. Nous en appelons à eux pour qu’ils reconsidèrent leurs positions et virent de bord en se souvenant que Dieu « jugera le monde avec justice » (Ac 17,31). Nous rappelons aussi, à nous-mêmes et à notre peuple palestinien, que notre soumoud (« résilience ») est ancré dans la cause juste que nous défendons et dans notre enracinement historique dans ce pays. Comme chrétiens palestiniens, nous continuons à trouver notre courage et notre consolation dans le Dieu qui habite avec ceux qui sont broyés et qui se sentent rabaissés en leur esprit (Es 57,15). Nous trouvons notre courage dans la solidarité que nous recevons du Christ crucifié, et notre espérance dans le tombeau vide. Nous sommes aussi fortifiés et encouragés par la solidarité coûteuse et le soutien que nous recevons de beaucoup d’Églises et de mouvements de base mus par leur foi partout dans le monde, et qui mettent au défi la domination d’idéologies de pouvoir et de suprématie. Nous refusons de céder, même lorsque nos frères et sœurs nous abandonnent. Nous sommes fermes dans notre espérance, résilients dans notre témoignage, et nous continuons à nous mettre au service de l’évangile de foi, d’espérance et d’amour face à la tyrannie et à l’obscurité. « En l’absence de tout espoir, nous faisons entendre aujourd’hui notre cri d’espérance. Nous croyons en un Dieu bon et juste. Nous croyons que sa bonté finira par triompher sur le mal de la haine et de la mort qui règnent encore sur notre terre. Et nous finirons par entrevoir une ‘terre nouvelle’ et un ‘homme nouveau’, capable de s’élever par son esprit jusqu’à l’amour de tous ses frères et sœurs qui habitent cette terre » (Kairos Palestine, §10).

Que Ton règne vienne !

Organisations et institutions signataires :

Kairos Palestine

Christ au Checkpoint

Bethlehem Bible College

Centre œcuménique Sabeel de Théologie de la Libération

Université Dar al-Kalima

Centre Al-Liqa pour les études religieuses, de patrimoine et culturelles en Terre sainte

UCJG de Jérusalem

UCJF de Palestine

Société arabe orthodoxe, Jérusalem

Club arabe orthodoxe, Jérusalem

Le Département de Service aux Réfugiés palestiniens du Conseil des Églises du Moyen Orient

Institut arabe d’éducation Pax Christi, Bethléem

 

Pour soutenir cette lettre ouverte, rendez-vous sur https://chng.it/xm6Wsy7wmz.

 

 

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