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      J’ai bien conscience qu’une réflexion sur la pratique des indulgences paraîtra oiseuse à beaucoup au 21ème siècle, et qu’elle susciterait l’ironie d’un Voltaire. Mais l’histoire est là : ce débat a joué un grand rôle il y a 500 ans dans le déclenchement de la Réforme et la naissance du protestantisme, et l’on va constater qu’au moment où catholiques et protestants s’apprêtent à commémorer cet anniversaire dans une fraternité retrouvée, ce dossier ne peut être tenu pour refermé.

       Après l’annonce, dans le bulletin de ma paroisse catholique, des dispositions prévues pour cette « année de la miséricorde » que vient de lancer le pape François, dispositions parmi lesquelles prend place, au bout de démarches précises, une « indulgence plénière », le pasteur protestant du voisinage a réfléchi tout haut, dans un courrier à quelques-uns de ses paroissiens, en écrivant ceci :

       « Pour rappel, c'est sur cette question des indulgences que la mèche du mouvement réformateur avait été allumée, avec la diffusion des 95 thèses de Luther qui remettait en question la pratique des indulgences, qui place la miséricorde divine sous condition, celle de l'accomplissement d'œuvres de piété. Le dialogue œcuménique a de l'avenir... ».

 

        Ce courrier s’est répandu au-delà de ses destinataires. Voici les réflexions qui me sont venues à ce propos.

      Je suggère que nous relisions le n° 41 du document Du conflit à la communion, commémoration commune catholique-luthérienne de la Réforme en 2017. On y lit que dans la piété de l'époque (avant 1517) "on considérait une indulgence comme une remise de châtiment temporel pour les péchés dont la culpabilité avait déjà été pardonnée". Que des théologiens luthériens aient cosigné cela signifie qu'ils ont parfaitement conscience que l'indulgence, telle qu'elle est comprise en catholicisme, n'apporte pas le pardon des péchés, elle le suppose déjà acquis (elle suppose qu'on ait bénéficié du sacrement de la réconciliation) et elle ne porte que sur des séquelles (un peu comme des douleurs dans la cicatrice d'une blessure guérie), et plus précisément sur le besoin d'une réparation même après le pardon (comme un serviteur pardonné par son maître va pourtant réparer les dégâts qu'il a commis).

        J'ai l'impression que beaucoup de protestants croient encore que l'indulgence catholique pardonne les péchés. Pour déblayer le terrain avant les débats qui restent à mener, il serait bon que l'enseignement qu'ils reçoivent dans leurs églises, loin de renforcer ce malentendu, les en débarrasse. Ce point éclairci, l'accord de 1999 entre le luthéranisme et le catholicisme sur la justification, autrement dit sur la gratuité absolue de la grâce divine faisant de nous des pécheurs pardonnés, n'est plus mis en cause par la persistance des indulgences dans les habitudes du catholicisme, même si cette persistance continue à faire problème et mérite d'être discutée, et si les présupposés sur lesquels elle se fonde (le purgatoire, la nécessité de la réparation après le pardon, etc.) font débat entre protestants et catholiques, et soulèvent bien des questions à l'intérieur même du catholicisme (leur fixation dans la doctrine est tardive, médiévale).

 

       Dans les deux paragraphes qui précèdent, j'ai cherché à établir une vérité objective . Ce qui suit est personnel.

       Sur le purgatoire, malgré l'imagerie traditionnelle, j'aurais du mal à croire au purgatoire comme à un lieu où l'on demeurerait un certain temps pouvant se compter en années, mois, jours, heures .... La mort corporelle retire nos vies de l'espace physique et, en conséquence, du temps dont le dénombrement est lié au mouvement dans cet espace. Mais la lucidité m'impose de penser que pour me présenter devant Dieu j'aurai besoin que celui-ci opère en moi une purification que la grâce reçue au cours de ma vie n'a pas achevée. Le purgatoire ne me pose aucun problème en tant que processus de purification.

       Sur la nécessité de réparer, même après le pardon, j'y vois des difficultés si on place du côté de Dieu la source d'une telle nécessité, car il ne gracie pas à moitié. Par contre elle peut avoir sa source dans le pécheur pardonné, comme une exigence de l'amour reconnaissant envers celui qui lui a pardonné. Réflexion à poursuivre.

       Autre présupposé : l’indulgence, surtout quand elle s’applique aux défunts, implique que l’Église a en quelque sorte reçu le pouvoir d’agir, par l’octroi ou non d’indulgences, sur le destin que Dieu nous réserve, y compris après la mort. Que par ses sacrements (qui ne concernent que les vivants) et par sa prière (notre prière à tous est comprise là-dedans) l’Église, appuyée en outre sur la prière des saints déjà parvenus au but, exerce une grande puissance de salut et de miséricorde, je le crois volontiers, et je vois mal pourquoi cette puissance s’arrêterait à la barrière de la mort, les liens noués entre nous subsistent dans la « communion des saints ». C’est pourquoi l’idée, habituellement évoquée en milieu protestant, que les morts désormais « sont dans la main de Dieu » et que, donc, nous n’avons pas à prier pour eux, me paraît étrange. Aucune barrière ne peut arrêter la prière, et s’il est légitime de prier pour la conversion d’un vivant, il l’est aussi, me semble-t-il, d’accompagner par notre prière un défunt dans sa purification. Mais j’avoue ressentir une gêne devant la codification minutieuse que représentent les indulgences, codification par laquelle telle démarche bien balisée aurait tel effet précis. Outre qu’il faut certainement affirmer que Dieu n’a pas sa miséricorde limitée par un tel cadre et qu’il reste libre de l’accorder autrement, cette codification ne renvoie-t-elle pas, plutôt qu’à l’Évangile, à un esprit de précision juridique que l’Église d’Occident a hérité de l’Empire romain, quand elle a fini par le subjuguer après avoir été persécutée par lui?

       Je suis heureux que notre pape François ait invité les catholiques à vivre une "année de la miséricorde", miséricorde à l'égard de tous ceux qui ont besoin de la solidarité de leur prochain (c'est-à-dire tout le monde, d'une manière ou d'une autre), et accueil de la miséricorde de Dieu à notre égard. J'aurais préféré qu'on ne remette pas au premier plan l'indulgence, attachée à un tel jubilé selon les habitudes du catholicisme. L'indulgence traîne avec elle, dans la réalité d'aujourd'hui, encore trop d'équivoque et de confusion, même chez les catholiques. J'ai découvert ces jours-ci que, devant les vieilles images pieuses proposant des prières assorties de 300 jours d'indulgence, telle catholique ordinairement bien avertie des convictions de son Église croyait que 300 jours d'indulgence voulait dire 300 jours de purgatoire en moins ! (pour avoir le sens véritable de cette indication, saisissez "300 jours d'indulgence" sur un moteur de recherche, Google ou autre, cela vous mènera vers un article de Wikipédia qui m'a paru bien fait, clair sans complications).

       Puisque l'indulgence est maintenant là, une catéchèse précisant bien les choses est probablement utile des deux côtés, du côté catholique pour que les fidèles ne fassent aucune confusion sur ce à quoi ils participent, du côté protestant pour que le débat qu'il est légitime de poursuivre repose sur des bases exactes, et non sur une indulgence fantasmée, héritée des aberrations du prédicateur Tetzel qu'affrontait Luther.

20 décembre 2015

 

7 janvier 2016

        Une version plus développée de cet article, comportant notamment un rappel historique traitant de l'origine des indulgences, est disponible sur http://www.dieumaintenant.com/vousavezditindulgencepleniere.html .

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Published by Michel POIRIER

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