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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 13:16

Un appel en faveur de la « Marche Pour la Vie » du 21 janvier 2018 appelait « tous les hommes et les femmes attachés au caractère sacré de la Vie, de sa conception à sa fin naturelle, à venir nombreux (…) pour défendre les droits des plus fragiles d’entre nous. »

Je vois bien que cet appel ne concerne pas seulement l’IVG, mais aussi la fin de vie. Mais c’est sur l’IVG que certains des termes du texte m’invitent à préciser une réflexion que l’actualité récurrente et la sensibilité à des situations humaines difficiles avait mise en mouvement depuis longtemps, en fait depuis les débats qui ont conduit à la loi Veil.

Ce qui pose problème, c’est de mettre sous l’appellation « les plus fragiles d’entre nous » la cellule unique née de la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde à l’instant de la conception ou l’organisme de quelques cellules qui arrive dans un utérus, et même l’embryon des premières semaines. « Nous », ce sont les humains, les personnes humaines au plein sens du mot. S’agit-il vraiment de cela ?

Je remarque d’abord que les textes officiels de la hiérarchie catholique, pour ceux qui voudraient recourir à l’argument d’autorité, parlent du respect de la vie humaine dès sa conception, non du respect de l’être humain. Cette précaution est significative, elle montre qu’on a conscience que parler d’un être humain, d’une personne humaine, et qualifier en conséquence l’IVG de meurtre engendrerait trop de difficultés (on verra pourquoi), tandis que la vie de ce petit organisme a évidemment quelque chose d’humain, puisque ses chromosomes sont ceux de l’homme. Et ainsi on met dans la tête des gens, tout en évitant de le professer explicitement, l’idée qu’il s’agit d’un meurtre.

Lors de la conception et durant les premières semaines de la grossesse, il s’agit en fait d’un organisme vivant programmé pour devenir, s’il rencontre les conditions extérieures nécessaires à son développement, un être humain – mais il ne l’est pas encore.

La première de ces conditions nécessaires, en effet, c’est que, lorsque cet organisme de quelques cellules a quitté la trompe où s’est produite la fécondation et qu’il est entré dans l’utérus, il s’y accroche à une paroi. C’est loin d’être acquis d’avance. Sinon, il part dans le sang des règles, trop petit pour y être aperçu. Professer qu’il y a un être humain, une personne humaine, dès l’instant de la conception, c’est professer qu’une bonne moitié des êtres humains a pour tombeau soit le tout-à-l’égout où le précipite la chasse d’eau, soit la poubelle qui accueille les tampons hygiéniques. C’est impensable !

Que l’embryon humain n’est pas tout de suite une personne humaine, qu’il lui manque tout un temps quelque chose pour être vraiment humain, nos prédécesseurs médiévaux en avaient l’intuition lorsqu’ils se demandaient gravement au bout de combien de jours Dieu insufflait une âme immortelle dans ce petit être. On peut sourire de ce besoin de précision au jour près, mais l’intuition était juste : pour un chrétien, il n’y a d’homme qu’ayant une destinée immortelle ; ce petit organisme non viable par lui-même, susceptible les premiers jours de disparaître au milieu des ordures, n’a pas encore reçu cette destinée, et sans cette destinée il n’est pas encore un vrai homme.

Aujourd’hui, nous connaissons mieux, mais encore imparfaitement, les étapes de son développement et ses transformations. Laissons les biologistes et les médecins approfondir cette connaissance, mais il semble bien que cette hominisation soit progressive, qu’au début cet embryon ne diffère guère dans son aspect de celui d’autres animaux, que certains de ses organes peuvent rappeler provisoirement et avant d’évoluer encore ceux d’animaux arrêtés à un stade plus ancien de l’évolution :  son humanité se spécifie peu à peu.

En raison de ce à quoi il est appelé si tout se passe bien jusqu’au bout, ce petit organisme n’est pas une chose, n’est pas un kyste, il peut être déjà aimé par ceux qui l’ont fait exister et espèrent son avènement à la pleine humanité. Si interrompre son développement n’est pas dans les premières semaines un meurtre, ce n’en est pas moins un acte grave, le renoncement à une promesse d’humanité. Le croire un acte indifférent est illusoire, et on sait bien qu’aucune femme n’y recourt de gaîté de cœur. Les responsables de notre Église sont fondés à nous le rappeler. Mais professer une interdiction absolue, est-ce tenable en restant humain ?

On connait cette histoire qui s’est passée au Brésil. Une fillette de onze ans, violée par son père, s’est retrouvée enceinte. Il y avait l’horreur morale de la situation elle-même, il y avait aussi pour un corps de fillette non totalement développé les dangers très lourds de la grossesse et de l’accouchement L’évêque du lieu a pourtant excommunié le médecin qui a opéré l’avortement et la mère qui le lui avait demandé. Cette inhumanité a fait scandale, en toute justice. Cet évêque a fait passer l’absolu du principe avant toute considération aimante des personnes humaines. Au fond, c’était ériger le principe en idole, et sacrifier à l’idole cette enfant agressée.

 

Un autre point du texte de l’appel mérite réflexion.

« Marche pour la Vie », « caractère sacré de la Vie » (avec une majuscule à Vie). Je crois de toutes mes forces que ce n’est pas la Vie, cette abstraction déifiée par la majuscule, qui est sacrée, ce sont les êtres humains vivants. Les êtres humains vivants, les personnes pour tout dire, avec leurs problèmes, leurs malheurs, leurs situations impossibles, qui doivent être prises en compte, et prises en compte dès le départ dans le discernement du pire et du meilleur et non pas seulement après coup pour traiter avec miséricorde des « pécheurs » dont on aurait d’abord condamné publiquement la conduite au nom du principe. Cette fois encore (je souhaiterais que nos pasteurs s’en rendent compte) on risque d’ériger une idole.

L’hominisation de ce petit organisme, l’apparition en lui de caractères et d’organes de plus en plus évidemment humains, sont progressives. Quand ce processus est-il accompli, quand une vraie personne humaine est-elle éclose ? Elle l’est certainement avant qu’un accouchement, même prématuré, donne naissance à un enfant viable. Mais nous ne pouvons savoir quand, tant cela est progressif. En l’absence de critère assuré, il est prudent de ne prendre aucun risque de vrai meurtre. Si une interruption de grossesse doit avoir lieu, il importe donc qu’elle prenne place le plus tôt possible. C’est pourquoi la campagne de certains contre le RU 486 qui peut agir très vite, les menaces contre les laboratoires et les savants qui l’ont mis au point, le boycott des laboratoires qui le fabriquent, m’ont paru dès l’origine une aberration. Et de même, lorsqu’au début de l’application de la loi Veil on a vu de bons apôtres tout faire pour gêner et retarder les démarches de femmes candidates à l’IVG en espérant les faire dépasser la limite de douze semaines alors prévue, et empêcher ainsi l’avortement légal, avec le risque que l’avortement ait lieu tout de même très tardivement dans de dangereuses conditions et sur un véritable enfant, ce fut là une attitude consternante.

Nous naviguons entre deux écueils. Celui, certes, de banaliser l’IVG et de refuser de voir en elle la gravité et le drame, mais aussi (c’est le risque le plus récurrent dans le monde catholique) l’inhumanité d’un refus absolu érigeant le principe en idole et faisant bon marché des humains vivants.

Michel POIRIER

.

En annexe, et en marge des débats entre l’épiscopat et le MRJC sur le sujet, cette déclaration à La Vie de François Mandil, délégué national des SGDF. Rappelant que les Scouts et Guides de France avaient soutenu la loi Veil en 1965, il ajoute : « Personne, ni le MRJC ni nous, n’a dit que l’avortement était anodin. Si l’avortement est un drame, on ne pourra jamais l’empêcher. Ce qu’on peut empêcher, c’est qu’une femme sur neuf meure d’un avortement clandestin. S’il y a une vie à protéger c’est la vie de ces femmes-là. Si on défend la vie, cela doit aussi interpeler. »

 

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commentaires

J
Oui, mais suffit-il que le corps à naître soit un fait "objectif" pour qu'on le considère comme humain? Si ce corps est déjà pris dans le langage et l'attente d'une nomination, il devient "sujet". Par-delà "objectif" et "subjectif" nos contemporains parlent d'intersubjectivité.<br /> Ceci, bien sûr, n'est qu'une idée ,vague et mal dominée.
Répondre
J
Je viens de lire avec beaucoup d'intérêt tes remarques intelligentes et originales concernant l'avortement. J'apprécie particulièrement ta distinction entre "Vie" et "êtres vivants".<br /> <br /> Je te signale que les musulmans, en se référant à un texte du Coran, rejoignent les médiévaux dont tu parles. Le fœtus ne deviendrait humain qu'à partir du 3ème mois, au moment où il reçoit une âme.<br /> <br /> Par ailleurs je m'interroge. Est-il possible, à ton avis, d'aborder le problème en tenant compte du fait qu'entrer en humanité c'est entrer dans le langage. Je trouve assez beau que l'évangile, mentionnant la conception de Jésus, parle de Joseph qui confère un nom. Y a-t-il humanité lorsque la mère et/ou le géniteur refusent de transmettre leur nom? Certes, on peut espérer que cette volonté en vienne à se manifester mais tant que dure le refus explicite d'une nomination, peut-on dire que le fœtus est humain?<br /> Prendre en considération cet élément permettrait peut-être de ne pas faire de la gestation un problème exclusivement féminin.<br /> Qu'en penses-tu?<br /> Bien amicalement.
Répondre
M
« Y a-t-il humanité lorsque la mère et/ou le géniteur refusent de transmettre leur nom? ». Poser le problème ainsi me met mal à l’aise. Je ne puis croire que l’humanité de quiconque dépende du regard que qui que ce soit d’autre pose sur lui, toutes les dérives seraient possibles. L’entrée de l’enfant à naître dans la véritable humanité au bout d’une certain nombre de semaines est, me semble-t-il, un fait objectif, même si cette entrée est progressive et impossible à assigner à un instant précis. Bien sûr, si les géniteurs anticipent ce moment dans une attitude d’amour et de nomination, c’est merveilleux.<br /> <br /> « Ne pas faire de la gestation un problème exclusivement féminin ». Là, je suis pleinement d’accord. On connaît le slogan féministe « Mon corps est à moi ». Quand la femme qui le profère n’a pas été respectée, notamment en cas de viol, sa revendication est légitime. Mais quand volontairement elle a partagé ce corps avec un homme et a pris part au corps de cet homme, il me semble que ce qui va résulter de ce partage assumé est de la responsabilité de tous les deux, et qu’il serait triste, et injustifié, qu’elle en décide seule – sauf bien sûr s’il se dérobe.

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